En août 1968, deux stars du cinéma français, Brigitte Bardot et Alain Delon, se sont rencontrées pour une séance photo. Leur film « Trois pas dans le délire » venait de sortir, et les producteurs pensaient à juste titre que des photos des deux sex-symbols de la France, ensemble, dans les magazines illustrés, contribueraient au succès du film au box-office. L’agence parisienne « Gamma », représentée par le célèbre photographe Jean-Pierre Bonnotte, a été chargée d’organiser la séance.
Les prises de vue devaient se dérouler à Saint-Tropez. D’autres options n’étaient même pas envisagées, car c’est dans les environs de cette ville que se trouvait la villa de Brigitte Bardot, « La Madrague », et l’actrice refusait catégoriquement de se déplacer ailleurs pour le tournage. De plus, il était difficile d’imaginer un décor plus romantique que la Côte d’Azur française.
Selon le « scénario », les acteurs devaient être ensemble dans un café, dans les rues, sur les quais, et… où encore ? Différentes options ont été envisagées, chacune plus ennuyeuse que la précédente. Puis Bonnotte a eu de la chance, bien que l’on puisse se demander s’il s’agissait vraiment de chance lorsqu’il s’agit d’une personne qui ne peut se passer de café et de son journal local chaque matin. Dans un petit article de la page sportive, il a appris que le yacht Pen Duick III du célèbre Éric Tabarly se trouvait actuellement à Saint-Tropez. L’auteur de l’article remarquait avec une légère ironie que le marin avait probablement décidé de se ressourcer en quittant son « quartier général » breton à Lorient pour le soleil de Saint-Tropez.
C’était une décision – et une décision élégante ! Mais le marin, connu pour son caractère difficile, accepterait-il de recevoir des invités sur son yacht ?
L’humeur de Tabarly était en effet maussade. Il y a quelques semaines à peine, il avait dû renoncer à participer à une course transatlantique, alors que tout le monde le voyait comme le favori. Il disposait du tout nouveau trimaran Pen Duick IV, il ne manquait pas d’expérience, mais des pannes successives l’avaient privé de toute chance de victoire, et sans cela, participer à la course n’avait aucun sens pour lui.
Il ne voulait voir personne. Bardot ? Delon ? Qu’est-ce que cela pouvait bien lui faire ? Cependant, après mûre réflexion, Tabarly décida que tout cela pourrait finalement être bénéfique. Ces deux-là avaient besoin de publicité ? Eh bien, lui aussi n’en serait pas gêné. L’échec de la course avait aggravé ses problèmes financiers, et certains commençaient même à murmurer qu’il avait une trop haute opinion de lui-même, alors qu’en réalité… Bref, sa photo sur les couvertures des magazines ne pourrait que lui être bénéfique.
Tabarly accepta. Un jour fut fixé. Les acteurs et le photographe devaient arriver à bord du Pen Duick sur un bateau rapide avec une plateforme garnie de coussins à l’arrière. Cela permettrait de prendre quelques clichés supplémentaires, probablement réussis. Et absolument exclusifs – aucun autre photographe ne serait à bord. L’agence « Gamma » n’avait aucune intention de partager.
Et ils sont arrivés – Bardot et Delon. Tabarly fut d’abord un peu réservé. Mais Brigitte et Alain étaient amicaux, sans la moindre trace de l’arrogance dont la presse à scandale se plaisait à parler. Et lorsque Éric Tabarly et son équipage hissèrent les voiles, le capitaine du Pen Duick se sentit complètement à l’aise. Il souriait même largement, ce qui était plutôt rare.
Le yacht de Tabarly prit la mer. Le vent était léger et régulier, gonflant les voiles et jouant avec le pareo aérien de l’actrice. La mer était calme. Tout se passait bien. À la surprise du capitaine – et quel choc cela aurait été pour les journalistes ! – Delon et Bardot ne se comportaient pas comme des novices, bien que Jean-Pierre Bonnotte lui ait assuré qu’ils n’étaient jamais montés sur un yacht auparavant. Cependant, le photographe n’avait que partiellement tort : sur un tel yacht, une véritable goélette conçue et construite pour gagner des courses, en aluminium et équipée de dispositifs spéciaux, c’était effectivement une première pour eux. Mais ils avaient une certaine expérience. Alain Delon, qui avait servi dans la marine et suivi une formation au centre de préparation maritime de Pont-Réan, avait déjà été à bord de yachts à plusieurs reprises au cours de sa carrière cinématographique, par exemple dans les films « Plein Soleil » et « Les Aventuriers ».
Quant à Brigitte Bardot, elle avait souvent été invitée à bord de yachts d’amis, naviguant sous voile parmi les îles de Polynésie, si bien que lorsque Tabarly lui proposa en plaisantant de tirer sur les écoutes, elle ne les confondit pas avec les haubans et s’acquitta de la tâche avec assurance. Delon se précipita à son aide, attrapant la manivelle du winch.
Quelques heures plus tard, ils étaient de retour à Saint-Tropez. Les adieux furent chaleureux. Bardot embrassa Tabarly sur la joue. Avec Delon, le capitaine échangea une solide poignée de main. Le photographe de l’agence « Gamma » Jean-Pierre Bonnotte rangea son équipement.
Ils ne se sont plus jamais revus… pas deux, mais trois étoiles : Brigitte Bardot, Alain Delon et Éric Tabarly.